Cet article est le deuxième d’une série de 3 qui servent à présenter les bases de l’écriture de manière complète et logique. Si vous n’avez pas lu le premier, vous pouvez le retrouver ici.

Nous abordons maintenant un point capital et sur lequel presque tous les débutants se cassent les dents : les personnages et les points de vue. Les négliger revient à s’attirer à coup sûr des problèmes plus ou moins sérieux pour la suite, et croyez-moi : vous n’avez pas envie de réécrire trois cents pages parce que vous vous êtes trompés.

Les personnages

C’était LA grande interrogation quand j’ai commencé. Faut-il que mes personnages soient déjà prêts, au faut-il les inventer au cours de l’histoire ?

Par expérience, je peux vous dire qu’il est extrêmement difficile d’improviser des personnages crédibles et intéressants, et ceux qui prétendent le contraire écrivent souvent les personnages les plus plats.

Si au moment d’écrire la première ligne, vous n’avez qu’une vague idée d’un ou deux personnages, vous allez vous planter.

Les personnages font partie intégrante de l’histoire, leur évolution définit l’intrigue, leurs motivations déterminent les conflits et les obstacles. Ils ne sont pas des entités indépendantes qu’on vient simplement ajouter à une histoire déjà toute prête.

Voilà pourquoi je crois que vous devriez avoir réfléchi à vos personnages, au moins au protagoniste et à quelques personnages secondaires, avant de vous lancer.

Mais comment développer des personnages crédibles alors que l’histoire n’a même pas commencé ? Comment dégager leur personnalité ?

La fiche personnage

Si vous avez déjà fait des recherches pour écrire un roman, vous avez probablement entendu parler des fiches personnage. C’est un conseil très répandu qui consiste à dresser une sorte de carte d’identité détaillée. Plus elle est détaillée, et mieux on connaît le personnage. En tout cas, c’est l’idée.

Ces fiches sont, dans l’immense majorité, complètement inutiles. Je sais, on le répète pourtant partout, tout le monde semble faire comme ça, mais je suis sûr de ce que j’affirme, et ce pour une raison toute simple : une accumulation de détails non pertinents ne forge pas un caractère.

Prenez votre protagoniste. Déterminez son âge, sa taille, son poids, son sexe, le nom de ses parents, l’école dans laquelle il a grandi, son adresse, sa religion, sa couleur préférée et son plat favori. Tenez, précisez même sa plus grande peur et son plus grand rêve si vous voulez. C’est fait ? Parfait. Maintenant répondez à ces questions :

  • Que ferait votre personnage si un ami avec qui il s’est violemment disputé venait lui proposer d’enterrer la hache de guerre ?
  • Que ferait votre personnage s’il apprenait qu’une personne très proche avait volé une importante somme d’argent ?
  • Comment réagirait votre personnage s’il apprenait que son plus grand rêve était devenu tout d’un coup inaccessible ?
  • Que ferait votre personnage si on lui proposait de participer à une activité illégale pour sauver des innocents ?

Vous ne savez pas ? Vous n’êtes pas sûr ? C’est bien là tout le problème.

L’immense majorité des détails repris sur ces fiches génériques sont complètement inutiles pour apprendre à connaître quelqu’un. Ce ne sont que des données brutes, vides de sens. Elles ne vous aident en rien à déterminer le caractère de votre personnage.

Si vous avez pu répondre à mes questions, c’est sans doute grâce à une intuition, une impression, et pas grâce aux détails que vous aviez complétés.

Le genre de questions reprises ci-dessus se pose tout le temps dans l’écriture d’un roman. Vous allez devoir déterminer la réaction de vos personnages à une situation donnée un nombre incalculable de fois, et chaque réaction aidera un peu plus le lecteur à cerner vos personnages. Si vous ne les connaissez pas vous-mêmes, leurs réactions sembleront incohérentes et vous perdrez votre lecteur. Chaque erreur vous fera perdre en crédbilité. C’est même un des défauts majeurs chez les débutants et une des critiques les plus récurrentes chez les lecteurs.

Mais si je déconseille les fiches personnage, qu’est-ce que je préconise, alors ?

L’interview

L’un des meilleurs moyens pour connaître un personnage est de faire comme si vous aviez affaire à une vraie personne. Vous lui posez des questions.

Imaginez-vous dans une pièce avec votre personnage. Vous avez le droit de lui demander n’importe quoi. Vous écrivez chaque question comme un journaliste qui consigne son interview, et vous laissez le personnage s’exprimer librement. S’il est du genre à raconter sa vie, laissez-le faire. S’il n’aime pas les questions, laissez ce caractère s’exprimer dans ses réponses. Et s’il est muet, alors forcez-le à parler. Faites-lui cracher le morceau.

Écrivez au moins une page et, si l’inspiration vous gagne, laissez-vous emporter. Il m’arrive d’écrire vingt à trente pages pour un seul personnage. Autant vous dire qu’ils n’ont plus de secrets pour moi.

Vous allez découvrir que vos personnages deviennent tout à coup beaucoup plus clairs dans votre esprit, et si on vous pose une question à laquelle vous n’aviez pas pensé, vous pourrez sans doute anticiper sa réaction sans même réfléchir. C’est là tout le principe de ce procédé : connaître si bien le personnage que vous pouvez répondre à sa place sans hésiter. Ils deviendront comme votre meilleur ami : vous les connaîtrez si bien que vous pourrez deviner la moindre de leurs réactions.

Il y a toutefois deux pièges à éviter.

Des personnages vivants

Assurez-vous de ne pas verser dans le cliché et le convenu. Si vous écrivez une jeune fille blonde et innocente, amoureuse d’un brun ténébreux, le lecteur va lever les yeux au ciel. Et si vous écrivez une jeune fille blonde qui ne cesse de se disputer avec un brun ténébreux, croyant ainsi prendre le cliché à contrepied, sachez que c’est un cliché aussi, et tout le monde sait qu’ils vont quand même finir par tomber amoureux. Soyez inventifs. Surprenez-nous.

Un personnage est vivant et crédible quand il nous fait penser à une vraie personne. Pour la littérature imaginaire, c’est un peu plus délicat. On ne croise jamais d’elfes ou de mages dans la vie. Mais ça n’empêche pas que leur personnalité nous rappelle quelqu’un. Elle doit être crédible.

Si vous êtes perdu, la meilleure solution reste de donner un objectif clair à votre personnage et de lui donner envie de l’obtenir. Soyez fidèle à sa personnalité, et vous éviterez de nombreux pièges.

Des personnages complexes

La plupart des écrivains conseillent d’écrire des personnages complexes, mais peu expliquent réellement comment y arriver.

On nous parle de personnages multi-dimensionnels, on nous dit d’éviter les personnages creux ou archétypaux. Oui, mais comment ?

Un personnage complexe, c’est un personnage qu’on a du mal à résumer en une ligne. Si on peut dire de votre personnage : « celui-là, c’est le gentil. Il est courageux et il aide tout le monde. » Ou encore : « celle-là, c’est la je-sais-tout. Elle sait plein de choses et c’est à elle qu’on fait appel quand on est perdu. », alors c’est raté.

Pensez à une vraie personne, qui serait timide. Cette personne est terrorisée à l’idée de parler en public et n’aime pas rencontrer de nouvelles personnes. Mais imaginez qu’elle soit amoureuse, et que l’élu(e) de son cœur se trouve enfin là, juste devant elle, sans personne pour les déranger. Vous ne pensez pas qu’elle pourrait enfin trouver le courage de lui parler ? Qu’elle pourrait se dire que c’est peut-être la seule opportunité qui se présentera et qu’elle doit la saisir, maintenant ou jamais ?

C’est ça, un personnage complexe. Un personnage qu’on ne peut pas résumer à un seul trait de caractère, qu’il garderait en toute circonstances. Il y a des cas où il se comportera différemment, et c’est ça qui le rend difficile à cerner. Un timide n’est pas toujours timide. Un personnage fort a ses faiblesses. Un personnage confiant a ses moments de doute.

Avant de se mettre en route

Voilà quelque chose que vous ne trouverez pas dans les listes du type « 10 conseils pour bien commencer un roman ». Les notions techniques.

Alors oui, c’est un peu chiant. On ne se lance pas dans l’écriture pour étudier des notions techniques. Mais je vous garantis que si vous les négligez, et c’est du vécu, vous allez vous en mordre les doigts. Peu importe si vous pensez tout savoir des notions de genre, de narrateur, de personne et de temps, vous pouvez toujours apprendre.

Il ne suffit pas de savoir pourquoi vous avez choisi un narrateur omniscient. Il faut aussi savoir pourquoi vous n’avez pas choisi un autre type de narrateur.

J’insiste sur l’importance de ces choix, qui se font avant le début du roman. J’ai un jour reçu une soumission de bêta-lecture qui me demandait si le choix de la personne n’était pas à revoir. C’était le cas, sans l’ombre d’un doute. 450 pages à réécrire. À cause d’une mauvaise décision.

Le genre

Certains conseillent de ne pas se préoccuper du genre, je ne suis pas de cet avis. La plupart des lecteurs ont des genres de prédilection. Ils savent ce qu’ils y trouveront et ils préfèrent rester en terrain connu pour éviter les déceptions.

Si vous écrivez sans vous soucier du genre, vous risquez bien d’aboutir à une histoire qui n’intéresse personne. Quand on vous demandera « Et c’est quel genre de roman ? », vous répondrez « Oh, il y a un peu de tout. Il est inclassable. » Et le lecteur passera son chemin.

Un amateur de SF veut lire de la SF. Si votre histoire n’est pas claire, il ne va jamais se dire « Allez, je tente, peut-être qu’il y a des bouts de SF dedans ».

Négliger le genre, c’est perdre beaucoup de lecteurs. C’est la triste réalité.

Le genre vous dictera des codes qui, pour beaucoup, sont plutôt des aides à la création que de véritables contraintes. Il vous permettra de vous fixer un cadre. Ne les voyez donc pas comme des cases qui vous enferment, mais plutôt comme des guides pour combler les attentes de vos lecteurs.

Le narrateur

Le narrateur peut être un personnage de l’histoire qu’il raconte, ou être une entité extérieure, indépendante. Selon le choix que vous faites, ça change tout, alors il ne faut pas le laisser au hasard ou à l’intuition.

Un narrateur-personnage est plus immersif et plus subjectif. Il permet au lecteur de se plonger dans l’histoire, et à l’auteur de jouer avec le point de vue pour montrer toute la subjectivité d’un personnage. Il est aussi, souvent, le plus naturel. Un personnage raconte son histoire, comme il la raconterait à un ami ou à un journaliste.

Mais attention, il a aussi ses contraintes. Il vous limitera à ce qu’il sait, car l’histoire est racontée selon son point de vue.

Un narrateur extérieur permettra souvent d’être plus objectif, plus neutre, plus détaché. Mais c’est réellement avec la notion de focalisation (voir plus loin) que vous allez déterminer où vous placez le curseur subjectivité/objectivité.

La personne

Encore une fois, un aspect qui ne semble être qu’un détail technique mais qui fait pourtant toute la différence.

Je vais être franc, la première personne est plus immersive, mais elle est souvent injustifiée. Je ne compte plus les manuscrits de débutants qui sont écrits à la première personne et au présent pour imiter Hunger Games et Divergente. Le choix de la personne doit être justifié par le récit, pas par la mode.

Utilisez la première personne si vous avez besoin d’immersion et si le narrateur (qui est dans ce cas obligatoirement un narrateur-personnage) est un bon moyen de raconter l’histoire. Souvenez-vous que vous serez limité par ce personnage pendant tout le roman. Quand vous voudrez raconter un évènement auquel le narrateur n’a pas assisté, vous ne pourrez pas.

Autre détail d’importance : un même récit peut devenir extrêmement maladroit du simple fait d’être raconté à la première personne. Un personnage qui se décrit lui-même en train de se peigner et de se laver, comme s’il fallait énoncer explicitement ses actions à mesure qu’elles surviennent, laisse parfois un sentiment de malaise, alors que la troisième personne aurait mieux convenu.

La focalisation

La notion qui lie la personne et le narrateur est celle de la focalisation. Le narrateur pose la question de celui qui raconte : est-il un personnage de l’histoire ou non ? La personne pose la question de la distance entre le narrateur et l’histoire. La focalisation, elle, se demande ce que sait le narrateur.

Il peut ne rien savoir et décrire les évènements tels que les verrait une caméra : c’est la focalisation externe, utile pour laisser planer un mystère ou éviter de révéler des informations que les personnages présents sont censés savoir.

Il peut décrire les choses selon le point de vue d’un personnage en particulier, les informations sont alors limitées à ce que ce personnage sait, c’est la focalisation interne.

Enfin, il peut tout savoir. Il saute sans effort de l’esprit d’un personnage à un autre, sait tout de l’histoire, de ses antécédents et parfois même de son avenir : c’est le point de vue omniscient. Attention toutefois : il est plus difficile de retenir des informations quand le narrateur est censé les connaître, car le lecteur peut se sentir trompé.

C’est la combinaison de ces trois notions qui caractérisera votre narration, assurez-vous de bien les comprendre. Par exemple, les débutants ont tendance à croire que la troisième personne implique qu’on ne puisse pas avoir une focalisation interne, alors que George R.R. Martin n’utilise que ça.

Le temps

Encore une fois, on rencontre de plus en plus de récits au présent sans que rien ne le justifie. Le combo récit en « je » + récit au présent est devenu un grand classique des auteurs un peu trop pressés qui n’ont pas pris le temps de réfléchir suffisamment à leur roman. Ils écrivent comme leur auteur préféré, sans se rendre compte que leur histoire est différente et requiert souvent d’autres outils.

Le récit au présent est plus immersif, il donne l’impression d’immédiateté et l’auteur se sent avec les personnages, mais il y a un revers. Comme le dit Jean-Noël Blanc, dans Dans l’Atelier de l’Écriture :

« On ne décrit pas une scène au présent comme on l’aurait fait au passé simple. Si l’on ne se méfie pas, un récit au présent se met très vite à ressembler à un collier de petits faits– actions, gestes, paroles, etc. –qui défilent à la queue leuleu, dans une litanie présentant à peu près autant de vivacité qu’une liste des commissions. Martin fait ceci, cela, cela encore : quelle musique entraînante, n’est-ce pas ? Le risque est que votre texte prenne l’allure d’un scénario : des indications courtes, purement factuelles, qui n’auront même pas besoin d’être rédigées avec habileté puisque leur principe même sera de trouver leur réalisation ailleurs que dans l’écriture, dans un film, une pièce de théâtre ou une vidéo. »

L’importance de bien choisir

Je sais que les « 9 erreurs de débutants » et autres « 7 conseils pour mieux écrire les dialogues » sont plus séduisants, mais si vous voulez apprendre à écrire, vous devez mettre les mains dans le cambouis. Ce sont vos outils. Vous ne pourrez pas les éviter éternellement, et si vous cherchez à faire l’impasse sur ces notions essentielles, vous partirez avec un franc désavantage.

L’écriture est un métier et on n’apprend pas un métier en lisant des compilations d’astuces. Si vous voulez imiter les auteurs professionnels, vous devez connaître leurs outils aussi bien qu’eux.

Ordinateur ou papier ?

Vous allez rapidement crouler sous les informations. Personnages, interviews, ébauches de scènes, trame, …

Alors comment s’organiser ? Comment ne pas s’y perdre ?

Il y a deux écoles. Je ne vais pas chercher à vous convaincre d’en rejoindre une plutôt que l’autre, mais je pense qu’un petit récapitulatif des avantages et des inconvénients respectifs des deux approches vous permettra d’avoir un avis éclairé.

Les inconditionnels du papier

Ceux-là refusent d’utiliser un ordinateur ou d’approcher un écran. L’écriture, pour eux, c’est à la main. Ils aiment le contact du papier, la sensation du stylo qui glisse sur la page. Et surtout, ils aiment savoir qu’un document important existe, qu’il est palpable, qu’on peut le tenir dans ses mains. Les fichiers d’un ordinateur peuvent s’effacer d’un seul clic, mais les feuilles de papier, elles, sont plus difficiles à perdre accidentellement et irrémédiablement.

Si vous êtes de ceux-là, soyez tout de même très organisé. Rien ne sert de rester fidèle au papier si c’est pour accumuler les feuilles volantes et les doublons. Conservez toute votre préparation dans une même farde, et classez les feuilles par fonction ou par chapitre.

N’oubliez pas non plus que pour envoyer son manuscrit à un éditeur ou pour l’auto-éditer, il faut tout réécrire à l’ordinateur…

Les mordus du numérique

Les fans de l’ordinateur sont, il faut bien l’avouer, majoritaires dans le domaine de l’écriture. Et on les comprend. Si un fichier s’efface facilement par mégarde, il peut aussi être stocké sur le cloud et dupliqué en un instant. Vous avez une idée dans le bus et votre carnet est resté chez vous ? Pas de problème : vous avez un dossier sur votre téléphone pour prendre des notes au vol. De retour à la maison, vous pouvez consulter le fichier directement sur votre ordinateur sans avoir à envoyer quoi que ce soit, et les modifications se répercutent sur tous vos appareils. Connaître vos statistiques d’écriture, le nombre de mots de vos documents et pouvoir faire une recherche par mot-clé sont autant d’avantages auxquels n’a pas accès la team papier-stylo.

Au fond, c’est une question d’habitude. On a tendance à se plier à la méthode avec laquelle on est le plus à l’aise. Assurez-vous juste que vous adoptez une approche plutôt qu’une autre de manière consciente.

Si vous ne jurez que par le papier, par exemple, acceptez-vous de vivre ce moment où vous vous souvenez avoir mentionné quelque chose dans un chapitre mais où vous êtes incapable de le retrouver ? En sachant que sur un ordinateur, il vous faudrait quelques secondes pour effectuer une recherche…

Conclusion

Vous l’aurez compris, les personnages et les notions techniques sont capitales pour la réussite de votre roman. Prenez donc le temps de bien y réfléchir, si possible avant de vous lancer.

Si vous avez déjà commencé à écrire, utilisez cet article pour vous assurer que vous comprenez bien ce que vous faites et renforcez vos personnages si nécessaire.

Dans le dernier article de cette série sur les bases de l’écriture, nous verrons comment structurer son roman de manière efficace, et autant vous dire que certaines idées reçues vont en prendre pour leur grade.

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