Cet article est le troisième d’une série de 3 qui servent à présenter les bases de l’écriture de manière complète et logique. Si vous n’avez pas lu les deux premiers, vous pouvez le retrouver ici et ici.
Maintenant que tous les éléments de votre roman son prêts, il va falloir les articuler de manière cohérente. Une bonne intrigue met en place tous les éléments un à un pour amener au dénouement par un lien de cause-conséquence.
Malheureusement, une grande mode est en train de s’imposer petit à petit, et elle fait chaque année de nouvelles victimes innocentes : c’est celle des récits mécaniques. Sur le papier, l’idée est alléchante : un schéma tout fait qu’il suffit d’adapter à son idée de roman. Mais quand il s’agit de présenter cette histoire à des lecteurs, c’est la douche froide. Les récits mécaniques sont prévisibles et peu originaux, les lecteurs les ont lus cent fois et ont l’impression que votre histoire est la cent-unième. Si vous voulez évitez cet écueil, vous êtes au bon endroit.
Faut-il vraiment un plan détaillé ?
Pour être transparent, c’est cette question qui m’a donné l’idée de cet article. Le monde de l’écriture, aujourd’hui, laisse vraiment entendre que le plan détaillé est un passage obligé pour écrire un roman. Les débutants ne questionnent même plus cette idée : ils voient tout le monde le faire et se sentent parfois obligés de les imiter, au risque de commettre une grave erreur. Pourtant, comme on va le voir dans cette section, rédiger un plan détaillé comporte des risques dont personne ne parle (ou presque).
L’idée de planifier son roman en détails vient d’une peur : celle de « se perdre ». Et si vous écriviez 200 pages avant de vous rendre compte qu’un point de l’intrigue ne tient pas la route ? Et si vous aviez l’idée d’un retournement de situation génial un peu trop tard et que vous deviez réécrire dix chapitres pour pouvoir l’intégrer ? Et si le lecteur s’ennuyait ? Et si la structure était bancale ? Et si le rythme était mal maîtrisé ?
J’ai été à votre place. Je sais que se lancer à l’aveuglette est terrorisant. Un plan permet de se rassurer et, plus il est détaillé, moins on laisse de place aux imprévus. Mais c’est oublier un point essentiel : un roman n’est pas une dissertation. Il traite de personnages, pas de démonstrations. Il met en jeu des aspects de la vie qui n’ont parfois rien de raisonnable ou de logique, il joue avec les émotions, les réactions et les tempéraments.
L’imprévu est ce qui fait que nous sommes des humains et pas des robots. Nous ne répondons pas à des programmes mais à nos instincts parfois déraisonnables. Un roman n’est pas une équation à résoudre, c’est un échantillon de vie.
Comme le dit Jean-Noël Blanc (encore lui) :
« (…) si l’écriture est trop soumise aux exigences de ce satané plan et, pour ainsi dire, le laisse entrevoir par transparence, qu’offre-t-on au malheureux lecteur ? D’abord on lui refuse la musique des phrases puisque la prose est forcément plus appliquée que joueuse. Ensuite, on le prive de toute rencontre inopinée puisque l’auteur les a d’avance refusées. Enfin il verra vite où le récit veut en venir, et alors pourquoi aurait-il la patience d’accompagner l’auteur jusqu’à un dénouement si aisément deviné ? »
Encore une fois, mon but n’est pas de vous dire ce que vous devez faire. Si vous ne voyez pas l’écriture sans un plan de trente pages, loin de moi l’idée de vous donner tort. J’aimerais seulement interpeller ceux qui prennent le fameux plan détaillé pour un impératif indiscutable de l’écriture et qui seraient curieux de savoir quels peuvent bien être les risques de « trop détailler ».
La fois où j’ai perdu des mois de travail à cause d’un plan trop détaillé
Pour mon premier roman, j’ai lu Anatomie du scénario de John Truby. L’auteur y détaille une structure en 22 étapes commune à toutes les bonnes histoires. Ces étapes me paraissaient suffisamment souples pour ne pas limiter ma créativité, et suffisamment précises pour me guider tout au long de l’histoire et m’assurer de la conclure de manière satisfaisante.
Alors j’ai repris chaque étape dans mon fichier Scrivener et j’ai construit une intrigue détaillée à partir d’une idée de roman déjà bien développée dans ma tête. Certaines étapes m’ont aidé à me sortir d’une impasse, d’autres m’ont semblé plus contraignantes, mais au bout de deux semaines, j’avais une intrigue en béton armé. J’avais détaillé chaque chapitre, chaque scène. Tout était prêt. J’avançais confiant. Je n’avais plus qu’à transformer tout ça en roman.
Au début, tout s’est bien passé. Mais au bout d’une centaine de pages, je suis tombé dans une impasse. Le plan du chapitre disait que mon protagoniste devait s’enfuir, et des péripéties qui constituaient près d’un tiers du roman suivraient, loin du lieu du début du roman.
Mais mon protagoniste, lui, avait évolué. Pendant ces cent pages, j’avais eu des idées que je n’avais pas anticipées. J’avais appris à mieux connaître mon personnage et ses relations avec les autres. Et quand est venu le moment d’écrire sa fuite, la réalité m’a frappé en plein visage : il était parfaitement incohérent que mon personnage s’enfuie à ce moment de l’histoire. C’était contraire à sa personnalité.
J’avais donc le choix entre trahir mon personnage ou trahir mon précieux plan. J’ai alors compris que toutes ces heures passées à détailler chaque scène n’avaient servi à rien, parce que mon plan ne pouvait pas avoir anticipé toutes ces petites variations de l’histoire.
Mon plan était trop détaillé.
Il ne laissait pas de place à mes personnages et, aujourd’hui encore, je crois que c’est la plus grosse erreur que j’ai commise depuis que j’ai commencé à écrire.
Des semaines à faire fausse route. Des dizaines d’heures de travail inutile. Tout ça parce que j’avais trop peur de laisser la place à la moindre improvisation.
Certains ont connu les mêmes déboires et sont tombés dans le piège de respecter leur plan à tout prix. Résultat : des personnages incohérents, irréalistes et sans profondeur qui vont là où l’intrigue leur dit d’aller. Ces histoires sont condamnées d’avance.
Vous aussi, vous vivrez ce genre de moments. Mais vous ne devez pas voir ces surprises comme quelque chose de négatif. Elles sont même un des plaisirs de l’écriture. Peu importe à quel point vous aurez planifié votre histoire, elle prendra parfois des directions inattendues et certaines de vos plus belles créations vous viendront sur un coup de tête.
Je cite souvent Jean-Noël Blanc mais il le dit tellement mieux que moi :
« Pourquoi ce rejet du plan détaillé ? D’abord pour une question d’ennui. Si dès la première ligne vous savez déjà tout ce qui va se passer page après page jusqu’à la dernière, sans possibilité d’invention et sans surprise, votre travail va ressembler à une punition. Qui accepterait une pareille galère ? »
La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas besoin de se lancer à l’aveuglette pour autant. Entre l’écrivain improvisé qui se lance sans réfléchir et l’écrivain trop préparé qui veut planifier la moindre virgule, il y a un juste milieu. Et ce juste milieu s’appelle la trame.
Élaborer une trame
Que les choses soient bien claires : je ne suis pas en train de vous dire que vous ne devez rien planifier, qu’il est interdit d’écrire une intrigue détaillée ou de prévoir des chapitres longtemps à l’avance. Mais vous avez vu qu’un excès de détails comporte des risques. À vous de choisir si vous êtes prêt à les prendre.
Une trame, c’est un plan très général et peu détaillé de l’histoire. Elle reprend les grands évènements et les grandes décisions, sans préciser ce qui se passe entre eux. C’est là que vos personnages pourront se développer en toute liberté.
La trame, c’est le squelette. Entre chaque point, vous faites ce que vous voulez, votre talent se déploie. Et chaque point est là pour vous rappeler régulièrement où vous devez arriver.
L’idée, c’est donc de bâtir une structure suffisamment solide pour vous guider, et suffisamment souple pour que vos personnages se développent de manière naturelle.
L’hécatombe des récits mécaniques
Dans le milieu du conseil d’écriture, il y a une grande mode ces dernières années : celle des structures toutes faites.
Certains proposent par exemple une structure en 3 actes, découpés en 3 blocs de 3 chapitres, eux-mêmes découpés en 3 scènes. Et chaque scène est prédéterminée. Par exemple, la scène 19 est le « calme avant la tempête », la scène 23 «l’apparente défaite » et la scène 10 la « découverte d’un nouveau monde ». En plus d’ôter tout le plaisir de l’écriture, ces structures sont extrêmement génériques et prévisibles.
Pour les débutants, elles sont rassurantes. C’est une sorte de formulaire tout préparé, il ne reste plus qu’à compléter les blancs avec les détails de sa propre histoire. La structure, elle, est déjà validée. C’est une source d’inquiétude en moins.
Mais réfléchissez une seconde. Vous croyez sérieusement que toutes les histoires suivent le même schéma ? Que vous allez écrire une grande histoire parce que vous connaissez les étapes du Voyage du héros ou les 22 étapes de John Truby?
Les contre-exemples abondent dans la littérature. Alors c’est vrai, c’est plus rassurant d’écrire quand toute l’intrigue est déjà couchée sur papier, mais vous payez le prix fort. Une histoire fade, prévisible et scolaire.
Et la raison, c’est que vous avez peur d’écrire. Vous vous privez de ce plaisir que seuls les écrivains peuvent connaître : celui de découvrir. Être surpris par ses propres personnages, redoubler d’inventivité pour corriger un problème et s’ouvrir tout à coup une nouvelle porte, explorer une sous-intrigue qui se révèle plus intéressante que prévu, observer un personnage secondaire prendre soudainement plus de place que vous ne l’aviez imaginé.
La trame : un compromis entre structure et liberté
Une trame vous permet de ne pas vous perdre en chemin. Elle vous mène à coup sûr vers la fin que vous aviez prévue, de manière crédible, et vous assure de respecter votre histoire. Mais elle ne liste que des points de passage. Le chemin que vous empruntez entre ces points de passage n’appartient qu’à vous, vous êtes libres de zigzaguer si vous le voulez. C’est de là que naîtra votre originalité. C’est de là que naîtra le réalisme. Et surtout, c’est cette liberté qui vous permettra d’écrire un récit cohérent, une histoire à part entière.
À ce stade, vous avez peut-être encore peur. Vous écarter soudain des schémas prédéfinis qui vous rassuraient peut sembler intimidant. C’est parfaitement normal. Je vais détailler des rappels de structure fondamentale qui me semblent importants pour construire une histoire intéressante qui va captiver vos lecteurs.
Partir de la fin
Si vous avez toujours en tête les trois éléments indispensables pour faire une histoire, vous savez que la fin en fait partie. Ne pas savoir où on va est plutôt dangereux. En fait, la fin devrait vous guider tout au long du récit. Elle vous permet d’avoir un point d’arrivée connu, et ainsi d’orienter doucement les évènements pour y arriver, afin que rien ne semble gratuit ou forcé.
Je vous conseille donc de partir de la fin pour bâtir votre trame, et de travailler à rebours pour déterminer quels évènements crédibles ont pu amener vos personnages jusque-là.
Objectifs et obstacles
Votre protagoniste doit absolument vouloir quelque chose, même si c’est quelque chose de simple. Cet objectif va orienter ses actions et le pousser à prendre des décisions qui vont le mettre dans des situations de conflit. Il va accepter de se mettre en danger et de traverser des épreuves difficiles parce qu’il pensera à son objectif.
Si vous vous débrouillez correctement, le lecteur devrait s’identifier à votre personnage principal. Son objectif deviendra aussi celui du lecteur. C’est pour ça qu’il tournera les pages. Il aura envie de savoir si votre protagoniste obtient ce qu’il désire au chapitre suivant.
Mais attention, il ne faut pas lui donner ce qu’il veut trop facilement. Des obstacles doivent se dresser sur sa route. Parfois, il échouera. Parfois, il sera ralenti. Parfois, il changera d’objectif ou au contraire, sa motivation redoublera. Le tout est que son parcours soit semé d’embûches. Ce sont ces obstacles qui pousseront le lecteur à continuer sa lecture. Comme le protagoniste, il sera frustré de voir qu’on lui refuse sa récompense et voudra aller plus loin pour obtenir satisfaction.
Alors malmenez votre personnage. Faites-le échouer. Faites-le douter. Faites-lui subir des injustices, essuyer des revers et perdre des alliés. Le lecteur n’en sera que plus captivé.
Relancer l’intérêt du lecteur
N’oubliez pas que vous êtes profondément investi dans votre récit.
Ce n’est pas le cas du lecteur.
Pour vous, une description est forcément intéressante car elle détaille cet univers génial que vous avez dans la tête. Pour votre lecteur, c’est juste une description. Si vous ne relancez pas son intérêt de temps en temps, il risque de s’ennuyer. Ne confondez jamais votre intérêt avec celui du lecteur.
Mais comment le relancer ?
Il existe des tonnes de moyens. Le plus simple étant le cliffhanger, qui consiste à laisser un indice en fin de chapitre, une phrase qui laisse planer un mystère et qui pousse à lire le chapitre suivant pour avoir sa résolution. Attention toutefois, cette méthode est vite lassante. Ne l’utilisez pas à chaque chapitre, comme ont tendance à le faire beaucoup de novices.
Une autre méthode consiste à insérer une révélation surprenante ou un évènement inattendu quand le rythme baisse. Vous pouvez aussi forcer vos personnages à réagir en provoquant un évènement dramatique. Le tout est d’apporter quelque chose de nouveau, qui change la donne.
Protagoniste et antagoniste
Le protagoniste a un objectif, l’antagoniste a le même et s’oppose au protagoniste. Bilbon et Gollum veulent tous les deux l’anneau, mais un seul des deux pourra l’avoir. Lequel et comment ? Lisez le livre pour le savoir…
L’antagoniste est une source inépuisable d’obstacles, ne l’oubliez pas. Il vous servira à relancer l’intérêt du lecteur. Si votre histoire patauge, demandez-vous ce qu’il pourrait bien faire pour donner un coup de fouet à l’histoire.
Fin « happy ending » ou douce-amère ?
La fin a le potentiel de ruiner complètement votre histoire. Pensez à Écorces de sang, de Tana French. C’est un livre qui avait le potentiel de devenir un des plus grands thrillers de ces dernières années, si seulement French n’avait pas décider de laisser le mystère principal sans résolution…
Vaut-il mieux un happy ending, une fin tragique ou une fin en demi-teinte ?
Les happy ending sont généralement les plus appréciées, mais elles ont la réputation d’être un peu naïve et irréalistes. Une sorte de « et ils vécurent tous heureux jusqu’à la fin des temps » dont on sait tous que ça n’arrive jamais.
Les fins tragiques sont parfois utilisées par les débutants pour se donner une crédibilité. L’histoire est plutôt normale, et à la fin tout le monde meurt. Attention à préparer le terrain pour une telle fin. Si vous écrivez une tragédie, rien ne doit être gratuit, tout doit mener à l’inévitable.
J’ai une petite préférence pour les fins en demi-teintes, plus fidèles à la réalité selon moi. Quand on parvient à atteindre son objectif, on a souvent dû sacrifier quelque chose pour y arriver. Tout n’est pas rose. On n’a rien sans rien.
Faut-il un prologue ?
La plupart du temps, c’est une mauvaise idée.
- Le prologue est par définition en dehors de l’histoire. S’il en faisait partie, alors ce serait le chapitre 1. Si le lecteur l’a aimé, il sera frustré de changer de décor et de personnages au chapitre suivant. Si le lecteur ne l’a pas aimé, alors à quoi sert-il ?
- Le prologue est souvent injustifié et ne vient que d’un effet de mode.
- Si le prologue est génial et que l’histoire l’est moins, le lecteur sera déçu.
- Le prologue est souvent utilisé pour expliquer les enjeux de l’histoire. C’est une facilité d’écriture.
Ce que vous devez faire maintenant
Jetez les grandes lignes de votre intrigue pour donner du corps à votre histoire, si ce n’est pas déjà fait.
Si vous avez un plan détaillé ou si vous comptiez en dresser un, il est encore temps de revoir votre méthode à la lumière de ce que vous avez appris. Mesurez les risques et prenez une décision éclairée.
Conclusion
Vous l’avez compris, je ne suis pas là pour vous faire adopter une méthode en particulier. Il y a en effet autant de manières d’écrire que d’écrivains. Mais certaines pratiques semblent admises alors qu’elles comportent des risques manifestes, et si j’ai pu vous apporter une perspective nouvelle, alors je considère mon objectif comme atteint. Ce n’est pas parce que tout le monde fait quelque chose que vous devez les imiter.
Vous avez maintenant un guide à consulter tout au long de l’écriture. Contrairement à des astuces glanées ça et là, ces articles sont complets et cohérents. Ce sont ceux que j’aurais aimé lire quand j’ai débuté, et j’espère qu’ils vous seront utiles.