Comment mettre en place une routine d’écriture?

Vous vous êtes fixé un objectif. Peut-être que c’était “terminer mon roman cette année” ou encore “écrire le premier jet en trois mois”. Peut-être même que vous avez entendu parler des objectifs SMART et que vous avez fait en sorte d’en respecter les règles. Vous avez alors précisé “Je dois écrire 100 000 mots en trois mois”.

Mais ça n’a pas fonctionné. Malgré votre objectif clair, vous n’avez pas réussi à tenir vos engagements. Pourquoi?

Il y a une dizaine d’années, j’étais comme vous. Je passais le mois de janvier à me dire “cette fois, c’est la bonne”. Je me jurais que, cette fois, j’allais écrire mon roman jusqu’au bout. Et je finissais toujours par abandonner.

Mais aujourd’hui, j’écris des centaines de milliers de mots par an, et je termine toujours mes projets. Qu’est-ce qui s’est passé?

Si je devais retenir un seul facteur, ce serait sans hésiter la mise en place d’une habitude solide. C’est parce que j’ai appris comment écrire tous les jours que j’ai pu terminer mes projets et publier des livres. Sans ça, je serais sans doute en train de commencer mon cinquantième manuscrit inachevé.

Mais la formation d’une habitude ne se fait pas n’importe comment et, contrairement à ce qui est souvent avancé, requiert bien plus qu’un peu de volonté.

Dans cet article, je vous présente les grands principes qui m’ont permis de passer d’un auteur débutant incapable d’écrire quinze jours d’affilée à un auteur qui a dépassé le million de mots.

 

Résultat vs méthodes

La plupart des gens se fixent des objectifs de résultat, c’est-à-dire qu’ils visualisent ce qu’ils cherchent à atteindre et qu’ils s’en servent comme unique motivation. Perdre 15kg. Parler japonais couramment. Terminer un roman.

Le problème de ce genre d’objectifs, c’est qu’ils ne disent rien des moyens que vous allez mettre en œuvre et des habitudes que vous allez devoir changer pour les atteindre. Avec un objectif de résultat, vous vous fixez une ligne d’arrivée et vous espérez la franchir un jour, sans trop savoir comment.

Mais est-ce qu’il suffit de vouloir quelque chose suffisamment fort pour y arriver? Pas toujours. Après tout, les “gagnants” et les “perdants” ont le même objectif. Dans une course, le dernier et le premier veulent tous les deux franchir la ligne en première position. D’ailleurs, vous aussi vous aviez pour objectif d’enfin terminer votre roman, et vous n’y êtes pas arrivé pour autant.

Et ça vous rend malheureux. Les objectifs de résultat sont noirs ou blancs. Ou vous réussissez à les atteindre, et c’est le bonheur, ou vous n’y arrivez pas, et c’est la déception, la frustration et la résignation. Il n’y a pas d’entre-deux.

Pourtant, vous avez peut-être fait des progrès. Vous avez peut-être écrit plus que jamais auparavant, vous avez appris énormément de choses sur les personnages, les points de vue, la narration, la création d’une intrigue… Mais comme votre objectif n’est pas atteint, vous êtes quand même déçu.

Les objectifs de résultat ne suffisent pas pour tenir vos résolutions. Il faut quelque chose en plus. Mais quoi?

 

La différence entre méthode et résultat

Le résultat, c’est ce que vous cherchez à obtenir, c’est la récompense finale. La méthode, c’est l’ensemble des moyens que vous employez pour y arriver.

Votre résultat est votre livre enfin terminé. Vos méthodes, c’est le fait d’écrire tous les jours, le fait d’établir un plan, le fait de vous forcer à ne pas réécrire en cours de route, etc.

L’objectif de résultat ne dépend pas de vous. Aurez-vous terminé ce roman dans trois mois? Vous n’en savez rien, ça dépend de beaucoup de facteurs, c’est loin d’être une simple question de volonté.

Si vous échouez, il est difficile de savoir exactement pourquoi vous avez échoué, puisque tout ce qui compte c’est la ligne d’arrivée. Un objectif de résultat est toujours atteint ou non, peu importe vos efforts.

Un objectif de méthode, en revanche, dépend de vous. Si vous décidez d’écrire tous les jours, alors cette décision vous revient entièrement. Votre objectif n’est plus “terminer mon roman” mais “écrire 1000 mots par jour” ou encore “écrire une heure avant le dîner”. Si vous n’avez pas assuré votre séance du jour, il est souvent facile d’en déterminer la raison (fatigue, paresse, manque de temps) et de corriger le tir ou de déculpabiliser en cas de circonstances atténuantes.

Et sur le long terme, l’objectif de méthode est beaucoup plus nuancé. Si vous avez respecté 59 séances sur 75, vous n’avez ni échoué ni réussi, c’est à vous d’analyser ces chiffres et de déterminer ce qui pourrait vous aider à vous améliorer.

Un objectif de résultat, c’est regarder le sommet de la montagne et espérer que d’une manière ou d’une autre, vous finirez par l’atteindre.

Un objectif de méthode, c’est mettre un pied devant l’autre.

Si vous voulez augmenter vos chances d’écrire votre roman, vous ne devriez donc pas vous concentrer uniquement sur le résultat final attendu, mais aussi sur les moyens que vous allez employer pour l’atteindre. Les deux vont de pair.

 

Alors faut-il oublier les objectifs de résultat?

On entend parfois qu’il faut oublier les résultats et se concentrer sur les moyens. Certains les appellent les processus, les méthodes ou encore les habitudes. C’est une position que j’ai moi-même défendue, mais que je nuance aujourd’hui.

Les objectifs de résultat ne sont pas à proscrire. Ils ne sont simplement pas suffisants. Mais ils sont tout de même importants.

Quand vous écrivez tous les jours, vous savez très bien pourquoi vous le faites. Ce n’est pas pour cocher une case, c’est pour vous approcher de votre résultat : terminer votre roman. Il est inutile de vous le cacher ou de le nier.

Cet objectif vous donne un cap. Il vous rappelle pourquoi vous travaillez. Il n’y a rien de mal à le garder en tête, tant que vous pensez aussi à vos méthodes.

Mais un problème subsiste : l’objectif de résultat vous rend malheureux. Tant que vous ne l’avez pas atteint, vous êtes déçu, et si vous échouez, vous l’êtes encore plus. Mais c’est nous qui nous mettons la pression, nous qui nous convainquons que seul un objectif atteint peut nous rendre heureux et satisfait de nous-même. Rien ne nous oblige à voir les choses de cette manière.

Au lieu de ça, nous pourrions voir l’objectif comme un guide, un cap à suivre, et nous réjouir du chemin parcouru. Vous n’avez pas terminé votre roman, mais vous avez écrit 500 mots par jour pendant un mois, ce que vous n’aviez jamais réussi à faire auparavant. Vous avez progressé. N’est-ce pas déjà une réussite? N’est-ce pas un motif de bonheur et de fierté? N’est-ce pas une victoire sur vous-même? Je pense que si.

Plutôt que de se comparer à notre idéal et de nous lamenter du chemin à parcourir, nous devrions penser à nous retourner et à contempler le chemin parcouru. La ligne d’arrivée n’est pas une condition du bonheur, elle n’est qu’une raison d’avancer.

 

Le troisième élément

Il se peut qu’à ce stade, vous vous disiez que je n’ai fait que réinventer la roue. Vous saviez déjà tout ça. Vous aviez un objectif : terminer votre roman. Vous aviez une méthode/habitude : écrire tous les jours. Et vous n’y êtes quand même pas arrivé. Pourquoi?

Il manque un dernier ingrédient pour que le changement soit profond et durable : l’identité.

Votre identité est l’ensemble des croyances que vous avez sur vous-même. Par exemple, vous pouvez vous croire fainéant, enthousiaste ou encore passionné. Peut-être que vous vous voyez comme quelqu’un de désorganisé, ou que vous êtes persuadé d’être le plus grand procrastinateur sur Terre.

Cette identité est profonde, cachée sous la surface, et pourtant elle détermine toutes vos décisions. C’est l’élément le plus difficile à modifier, et aussi le moins souvent évoqué. C’est peut-être pour cette raison que la plupart des gens n’arrivent pas à changer durablement.

Que fait quelqu’un qui veut atteindre un objectif? En général, il va se concentrer sur le résultat attendu et déterminer les méthodes pour y arriver. Par exemple, il veut terminer son roman, et il se fixe un objectif de 1000 mots par jour pour l’atteindre en 3 mois. Mais il ne change rien à ses croyances. S’il se croit incapable d’écrire un roman, ou trop amateur, trop mauvais, sans talent, à la motivation irrégulière, cette image de lui-même ne va pas changer par magie. Son ancienne identité le rappelle en permanence vers les mauvaises habitudes correspondantes : regarder Netflix, scroller sur Instagram, procrastiner…

Tant que vous ne changerez pas vos croyances, votre ancienne identité (celle de non-auteur) vous empêchera de changer. C’est le phénomène de résistance. C’est ce que vous ressentez à chaque fois que vous essayez d’écrire mais que vous n’arrivez pas à vous motiver. À chaque fois que vous relisez votre travail de la veille et que vous vous laissez décourager. À chaque fois qu’on vous propose de sortir alors que vous aviez prévu d’écrire et que vous cédez.

La raison pour laquelle écrire vous semble si difficile est que, si votre objectif est sincère et vos méthodes bien définies, votre identité, elle, n’a pas changé. Vous n’avez agi que sur la surface. Au fond de vous, vous croyez toujours être un immense procrastinateur, un incapable, un amateur. Écrire tous les jours vous semblera toujours un combat, parce que vous vous forcez à respecter des habitudes qui sont en contradiction avec votre identité actuelle. Les procrastinateurs n’écrivent pas tous les jours, et si au fond de vous, vous croyez en être un, vous finirez toujours par abandonner.

 

Le résultat, c’est ce que vous obtenez (terminer votre roman). La méthode, c’est ce que vous faites (écrire tous les jours). L’identité, c’est ce que vous êtes (je suis un auteur).

 

 

Votre identité détermine vos méthodes (vos habitudes), qui à leur tour déterminent vos résultats. Pour atteindre vos objectifs, vous devez aller plus loin, vous devez creuser jusqu’au noyau pour le changer en profondeur et inscrire vos résolutions dans la durée.

Je vais vous donner un exemple pour vous montrer la puissance d’un tel changement de perspective. Imaginez que quelqu’un vous propose une soirée entre amis alors que vous aviez prévu une séance d’écriture. Vous pourriez répondre “non, désolé, j’essaie d’écrire un roman”. C’est une réponse censée, mais qui va rencontrer des objections auxquelles vous aurez du mal à répondre, et vous risquez de ne pas résister à la tentation bien longtemps. “Allez, juste cette fois” “Encore? Mais t’es tout le temps enfermé!” “T’écriras bien un autre jour, tu ne vas quand même pas rester tout seul!” En revanche, remarquez l’importante nuance si vous répondez “non, désolé, je suis auteur, je travaille ce soir”. Là, vous ne vous placez plus dans l’optique d’un objectif lointain, aux méthodes floues et à la régularité facultative. Vous êtes un auteur, et en tant que tel, vous allez écrire, comme tous les jours, parce que c’est ce que font les auteurs. C’est une perspective radicalement différente qui peut sembler innocente mais qui change tout.

Remarquez la différence entre :

“Je veux terminer un roman, je dois donc me forcer à écrire tous les jours, et peut-être qu’un jour je deviendrai un auteur”

et

“Je suis un auteur, donc j’écris tous les jours. Ma récompense, c’est de terminer mon roman.”

La logique est totalement renversée.

À chaque fois que vous avez essayé de terminer un roman, je parie que vous avez raisonné comme dans le premier exemple. Si c’est le cas, alors j’ai mis le doigt sur votre problème. Vos croyances sur vous-même n’ont pas changé, et si vous avez réussi à être régulier au début, le naturel a fini par revenir et vous avez décroché. C’est la résistance qui a eu raison de vous, parce que votre identité était toujours là, cachée sous la surface, à vous tirer vers le bas, à vous ramener vers vos croyances profondes. Vous avez lutté, mais elle a fini par reprendre le dessus. Et vous avez abandonné votre roman.

Quand on ne change pas son identité en profondeur, la méthode finit toujours par avoir tout d’une corvée. Au début, vous aimez écrire, après quelques semaines vous devez vous forcer. Pas étonnant que vous n’y arriviez pas : vous livrez chaque jour un combat contre vous-même.

En revanche, si vous parvenez à agir sur vos croyances, alors chaque nouvelle séance d’écriture est plus facile que la précédente. À force de répétitions, cette habitude devient de plus en plus naturelle, jusqu’à faire partie de vous, et vous finissez par avoir plus de mal à ne pas écrire qu’à écrire. Vous asseoir à votre bureau peut toujours représenter une certaine difficulté, mais elle n’a plus rien à voir avec le combat insurmontable que vous deviez mener pour vous motiver au début.

 

Comment changer son identité?

Vos croyances sur vous-mêmes sont déterminées par vos habitudes présentes. Vous êtes ce que vous faites régulièrement.

• Vous regardez Netflix donc vous (pensez que vous) êtes fainéant.
• Vous n’écrivez pas tous les jours donc vous êtes indiscipliné.
• Vous réécrivez sans cesse donc vous êtes désorganisé.
• Vous abandonnez tous vos projets donc vous n’êtes pas persévérant
• Vous recommencez au bout de 30 pages donc vous n’avez pas confiance en vous

Les habitudes sont les méthodes que vous répétez régulièrement. Elles peuvent être positives ou négatives. Vous comptez vos calories donc vous êtes quelqu’un de sain. Vous lisez une demi-heure par jour car vous êtes quelqu’un qui aime lire. Vous grignotez entre les repas car vous n’avez pas de force de volonté.

Mais il y a quelque chose de paradoxal, si vous suivez bien. J’ai dit que pour que vos méthodes tiennent sur le long terme, il fallait changer votre identité. Et votre identité est elle-même conditionnée par vos habitudes, donc vos méthodes. C’est le serpent qui se mange la queue.

 

 

Si vous écrivez régulièrement, c’est la preuve que vous êtes un auteur. Et si vous vous considérez comme un auteur, il est logique que vous écriviez régulièrement.

À l’inverse, si vous n’écrivez pas régulièrement (méthode/habitude), vous n’êtes pas un auteur (identité, croyances). Si vous ne vous considérez pas comme un auteur (identité, croyances), vous n’écrivez pas régulièrement (méthode/habitude). C’est un cycle sans fin. Pour changer, il n’y a qu’une solution : rompre le cycle et en créer un nouveau.

 

Comment rompre le cycle

Le plus important changement à opérer, celui qui va faire toute la différence et que vous ne faisiez pas jusqu’à présent, c’est de décider de votre nouvelle identité.

Vous voulez écrire un roman? Demandez-vous quel est le genre de personnes qui écrit un roman. Un auteur. Vous êtes un auteur.

Non non non, faites tout de suite taire cette petite voix qui vous dit que ce n’est pas vrai, que vous devez d’abord faire vos preuves ou que vous n’avez pas cette prétention. On est entre nous. Vous êtes un auteur. C’est important.

Comme tous les auteurs, vous allez maintenant écrire régulièrement. Selon votre emploi du temps, cette régularité peut différer. Vous pouvez écrire tous les jours. Ou seulement en semaine. Ou seulement les week-ends. Mais vous écrivez régulièrement. Plus question de laisser des semaines sans écrire, parce que les auteurs ne font pas ça.

Écrire fait maintenant partie de votre vie. Écrire ou non, vous ne vous posez plus la question. C’est aussi naturel que de vous brosser les dents ou de faire les courses. C’est certain, parfois vous n’avez pas envie d’écrire. Mais ce n’est pas grave, vous écrivez quand même. Parce que c’est ce que les auteurs font. Et vous êtes un auteur.

À chaque fois que vous accomplissez une séance d’écriture, vous avez une nouvelle preuve de votre nouvelle identité. Vous ne vous dites pas “j’ai écrit et je me suis donc rapproché de mon objectif”, vous dites “j’ai écrit, car je suis un auteur”. Et quand vous manquez une séance, ce n’est pas une preuve que vous n’êtes pas un auteur, c’est juste un petit accident de parcours. Vous allez vite vous remettre en selle.

Bien sûr, votre identité ne va pas changer du jour au lendemain. Il faudra du temps, et beaucoup de séances d’écriture pour modifier durablement vos croyances et ancrer solidement vos nouvelles habitudes.

Mais l’important, ce n’est plus l’objectif que vous cherchez à atteindre. C’est quel genre de personne vous voulez devenir. L’important ce n’est pas de terminer un roman, c’est de devenir un auteur. Et on devient un auteur en le décidant, et en se prouvant chaque jour que c’est vrai par l’accomplissement rituel d’une habitude.

Si vous voulez quelque chose, vous devez devenir le genre de personnes qui l’obtient. La seule manière de devenir un écrivain, c’est de le décider, et de passer sa vie à se prouver qu’on avait raison.

 

Résumé

• Les résultats que vous cherchez à atteindre vous donnent un cap, une direction. Mais ils ne dépendent pas de vous et ils ne suffisent pas. Il faut les coupler aux bonnes méthodes.
• Vos méthodes sont les moyens que vous employez au quotidien pour vous rapprocher de vos objectifs. Elles sont plus efficaces quand elles deviennent des habitudes. Le résultat en tête, fixez-vous des objectifs de méthode pour tenir sur le long terme. Mais on ne peut pas forcer quelqu’un à changer de méthodes sans changer durablement ses croyances.
• Vos croyances sont votre identité profonde. Ce sont elles qui déterminent si vos changements vont tenir sur la longueur. Mais elles ne peuvent changer que par la répétition des mêmes méthodes.

 

Conclusion

Une grande partie des idées présentées dans cet article sont directement inspirées des travaux de James Clear, qui est aujourd’hui considéré comme une sommité en matière de formation d’habitudes. J’ai appliqué son modèle à l’écriture de fiction, avec quelques nuances importantes. Si vous voulez plus de détails, vous devriez jeter un œil à son livre de référence : Atomic Habits.

Je suis convaincu que la raison pour laquelle la majorité des amateurs échouent à atteindre leurs objectifs est qu’ils n’opèrent que des changements de surface. Avec cet article, j’espère vous avoir fourni des clés pour mettre en place une habitude d’écriture durable qui vous aidera à terminer tous vos projets.